L'almanachronique du 20 février
Hello les blogos ! Que vous peignissiez la blogose !
Ma chronique du jour est une anecdote célèbre gersoise, à la fois paysanne et musicale, qui fit couler beaucoup d'encre entre 1837 et 1838. Il est question de Raymond Dartagnon.
Ce paysan méconnu qui pourtant a porté au plus haut point de perfection le genre typiquement gascon du "tuste-grillon" est à juste titre considéré comme l'un des plus adroits. Mais nous y reviendrons plus tard.
Il avait vu le jour à Margouët Meymes, un petit village absurde mais poétique, en 1803. Un court passage en l'école primaire du village lui fit connaître les chefs-lieux des départements limitrophes et la hauteur du Mont-Blanc. Très mauvais musicien, il ne s'est servi de sa trompette que pour célébrer foireusement, le jour de foire, l'inaliénable appétit du maire qui se remaria avec la bonne du curé pour la culbuter officiellement. Après quelques années d'insouciance éphémère, il reprit sans broncher la ferme familiale. Celle-ci était quelconque, deux trois hectares de chiendent, une mare sans canards, un clapier sans lapine, un chêne sans glands, un espoir sans avenir. Entre des vaches atrabilaires et des oies hypocondriaques, Raymond apaisait son âme, et pendant ses maigres loisirs, en "tustant" le grillon pacifique.
"Tuster" le grillon consiste à quérir une longue herbe, à repérer le trou de l'insecte orthoptère sauteur et chanteur, puis à enfiler le brin d'herbe dans ce même trou, délicatement, en un va-et-vient habile, et attendre que le grillon, ainsi caressé par le dos, mette le cul dehors en poussant des spasmes discrets. Il suffit alors de "cueillir" le dit grillon et de l'enfermer dans une petite cage. Celle-ci pendue dans un coin de la maison, le "cricri" d'amour vous fera une aubade gracieuse et harmonieuse.
Raymond s'en était fait un domaine de prédilection. Il était devenu, au fil des saisons, le maître absolu, le "tusteur" impitoyable, l'académicien des culs lustrés.
Ce 20 février 1837, le village voisin de Margouët Meymes, Cadeilhanous Berdous organisa un concours de "tuste-grillon". Naturellement, Raymond Dartagnon qui n'en foutait plus une depuis qu'il avait abattu toutes ses vaches et ses oies peu conjugales, s'était inscrit sous l'injonction menaçante du maire qui rêvait secrètement de se payer la gueule des berdoussiens, plus cons que villageois. C'est dire !
Après la matinée, Raymond en était déjà à près de quarante-sept grillons dans l'escarcelle appropriée qui pendait à sa taille. Bien loin devant tous les participants, il sifflotait gaiement en attendant le son du cor au fond des bois, pour le final du concours.
Un dernier cricri l'arrêta net. Un beau et gros cricri pour un beau et gros grillon, tant espéré. Se dotant de sa belle herbe, Raymond "tusta" avec délicatesse pour l'une de ses dernières prises.
Il "tustait", "tustait" tant et si bien, que rien n'y fit. Il humecta alors son brin, et recommença de plus belle. Rien. Pas l'ombre d'un grillon, et encore moins son cul. Puis, un petit cri. Fin et délicat. Le coeur de Dartagnon battait la chamade. Il "tusta" derechef.
Il était tout proche de l'issue quand, soudain, un " Oh mon Dieu !" le fit sursauter ! La femme du maire se releva d'un bond, tout en remettant son jupon prestement.
Tous les journaux relatèrent l'incident. " Dartagnon "tuste" la mairesse !" s'étalait en première page. Scandale garanti !
Raymond fut mis au ban de la société.
La cour de justice ordonna l'abandon du concours.
Il est dit, qu'après cet incident jovial, la mairesse cultiva en secret une herbe merveilleuse, ferme et veloutée.
Et les grillons de chanter...