L'almanachronique proustienne du 11 juin

Publié le par blancafort

Hello les blogos ! Flic Flac la blogose !

"Il y avait bien des temps que, de Simorre à Gaujan, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher n'existait plus pour moi, quand hier, comme je passais chez mes parents pour tâter mon héritage, ma mère, voyant que j'avais froid et que j'étais humide, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude (!!!!), un peu de rhum. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces fortifiants blancs et poudreux qui semblent avoir été purifiés pour l'ascension des cols'coke par d'improbables vélocipédistes renifleurs de boyaux. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée de merde détrempée et la perspective d'un triste lendemain ( Gagné!!!), je portai à mes lèvres une lampée de rhum où j'avais laissé se dissoudre un gramme de cette "madeleine" familiale. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de poudre toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait de stupéfiant en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de la cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, les offres d'emplois déraisonnables, leur brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée à la saveur du rhum et du "coca", mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifait-elle ? Où l'appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m'apporte un peu moins que la seconde ! Merde ! me dis-je, décontenancé et franchement allumé. Il est temps que je m'arrête, la vertu de ce breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui, mais en moi. Snif Snif ! Il l'y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l'heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose mon verre et ma paille, et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Ma mère, qui était restée à mes cotés, bienveillante et poudrée des naseaux, me passa un petit cône comme moulé dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. Diantre ! Il sentait bon les nymphéas de la Gimone, les fleurs séchées du parc de M. Swann, l'horrible gueux pacoulin qui pacoulait dans sa bouse. J'étais heureux et fortement tenté de rechercher à nouveau tout ce temps perdu. Peine perdue. Il pleuvait.
Allez hop ! un autre p'tit rhum maman ?"

Publié dans Chroniques

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