L'almanachronique du 20 avril

Publié le par blancafort

Hello les blogos ! Pardon la blogose !

" Lâche ! Lâche ! " s'écriait la foule qui s'avançait, le poing rageur, sur la place publique de Rance.
La petite commune de Belgique, située en Région Wallone dans la province de Hainaut, était alors un village paisible où nulle gabegie ne venait troubler la morne quiétude d'un bourg moribond, et qui plus est belge. Pourtant, ce 20 avril 1859, une foule bigarréede haineux wallons s'en allait gaiement châtrer Jean de Baumont, un rancier rassis.
Il était alors le dernier respectable tailleur de marbre du village, dont les mains rouges témoignaient sans fard de sa dure besogne ineffable et quotidienne. Il avait hérité du métier de tailleur de marbre par son père qui l'avait lui-même hérité du sien, qui l'avait lui-même hérité du sien, et qui l'avait lui-même hérité du sien, selon une tradition à la con du mouvement perpétuel des héritages paternels. Le marbre rouge de Rance était un marbre de belle facture, dont la renommée n'était plus à faire. C'était celui, entre autres, qui ornait les murs de la galerie des Glaces du château de Versailles et ceux du Petit Trianon, où pompait la Pompadour.
Un jour, les trois filles de la famille Sivry, une dynastie de laboureurs-boulangers, tombèrent toutes trois dans les griffes acérées du Diable en personne. On les appelait dès lors les gorgones, tant leur chevelure effrontée et maléfique faisait tourner la tête des malheureux qui croisaient indubitablement le regard pernicieux des furies démoniaques.
Rance était devenu un enfer. Les hommes, un à un, se perdaient dans les bras des soeurs Sivry, en reniant la morale et leurs femmes respectives.
Avant la chute inévitable de la tranquille Rance, les femmes se soulevèrent et montèrent au créneau, à défaut de mari. Elles allèrent trouver Jean de Baumont, le dernier célibataire du bourg bourru, et lui demandèrent, grâce à ses mains calleuses, de bouter hors de Rance les soeurettes lubriques.
Ainsi, tel Persée, le courageux fils de Zeus, Jean de Baumont s'en alla un soir chez les Sivry, armé d'un sabre affûté. Peine perdue. Lui-même ne résista qu'une minute, qu'une seule minute infime, au charme lascif des courbes voluptueuses des gorgones échevelées.
C'est ainsi qu'il se trouva, ce 20 avril 1859, sur la place publique de Rance, prêt à la vindicte des rancières abusées.
Ce jour-ci, il a vraiment manqué de Persée vers Rance.

Publié dans Chroniques

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